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Du grand danger de la pédagogie «décoloniale» dans la formation des maîtres

par Charles Coutel

Depuis la mastérisation de la formation des maîtres des 1er et 2nd degrés et des CPE1 dans les INSPE2, des unités d’enseignement dédiées à la pédagogie sont introduites et comptent pour partie dans l’évaluation des étudiants et dans l’obtention du concours. Dans ces modules, sont proposés pour exemple des modèles de pédagogues inspirants qui ont œuvré en faveur de l’enseignement et de l’instruction de tous les enfants, dans des contextes difficiles, comme le médecin Janus Korczak ou comme Sara Banzet, inventrice de l’école maternelle dans les Vosges qui permit à tous les enfants d’apprendre à lire et écrire.

Ces modèles, pour certaines écoles de sociologie de l’éducation, seraient aujourd’hui jugés insuffisants. En effet, ils ne seraient pas parvenus à déconstruire le cadre jugé trop rigide de l’école et ne répondraient pas aux problématiques éducatives du XXIe siècle, comme celle de la transmission politique par l’école de la domination blanche.

La stratégie consisterait à introduire, dans la formation des maîtres, de nouvelles pédagogies dites «émancipatrices», puisque critiques des cadres de l’école de la République, en se référant, pour exemple, à des travaux américains, non pas basés sur des méthodes pédagogiques ou éducatives à destination des enfants, mais inspirés d’une pédagogie que nous nommons «décoloniale». Cette pédagogie s’appuie sur les travaux dits «bell hooks», nom de plume de l’universitaire américaine militante Gloria Jean Watkins3. Elle consiste à introduire en éducation, dans la formation des maîtres, auprès des étudiants, une approche critique de leur expérience lors de leurs stages en établissement, par la reconnaissance des marqueurs de racisme ou de domination qu’exercent les enseignants ou l’institution envers les enfants racisés, genrés, colonisés, etc. En effet, «bell hooks», dont les idées, initialement féministes, se sont muées en analyse intersectionnelle pour déterminer les rapports de force qui s’exercent sur les minorités à partir de leur race, genre et classe, a fondé une pédagogie dite «libératoire» reprise pour agir sur les dominants (ici, les futurs enseignants) en faveur des dominés (les élèves racisés, genrés etc.).

Un projet politique redoutable

Pour une partie de la sociologie française de l’éducation, l’école produirait volontairement des discriminations par le biais de la reproduction scolaire et conduirait les enfants issus de l’immigration ou supposés comme tels, les enfants genrés et troublés ou supposés comme tels, les enfants issus de classes sociales défavorisées, vers l’échec scolaire et les défauts d’orientation par reproduction inconsciente du racisme colonial et par «clacissisme». L’idée, pour déconstruire ce racisme scolaire et la «domination blanche» est politique. Elle prend appui sur les préconisations de la pédagogue décoloniale bell hooks et consiste à agir sur la formation des futurs enseignants. Pour cela, conformément aux préconisations de l’auteur référencée, il s’agirait d’organiser des groupes d’analyse de pratiques professionnelles dites «de pleine conscience», où les étudiants stagiaires, à partir de leur expérience ou de leurs observations en établissements, apprendraient à nommer d’abord les catégories racisées (blanc, noir et acronymes divers pour repérer les enfants porteurs de troubles dans le genre), contre l’universalisme républicain qui refuse que la race des enfants soit reconnue et que des enfants en construction soient fichés et catégorisés. En ce sens, la pédagogie dite décoloniale est fondamentalement anti-républicaine, anti-rationaliste et anti-humaniste; elle fait le jeu des adversaires déclarés de l’École républicaine et donc de la République.

La seconde étape de ces groupes, par les interactions entre pairs, consisterait à faire à prendre conscience aux étudiants des rapports de domination produits par la société qui s’exercent dans l’école, et de la capacité des institutions et donc des enseignants à y perpétuer un racisme qui serait issu de notre passé colonialiste. Puisque les dominés (ici étudiants futurs enseignants) n’auraient pas conscience de reproduire un racisme dit «systémique», donc qu’ils ne pourraient le combattre, l’idée est d’organiser, tels des groupes d’analyse de pratiques professionnelles, des groupes «de conscientisation» autrement nommés groupes de «conscience critique», sur le modèle des thérapies de conversion dans lesquelles les membres du groupe, sous l’animation d’un expert en genre, classe et race, conduit l’impétrant à la déconstruction du mythe égalitaire et universaliste qui «invisibilise les différences de couleur». Par la conduite vers l’aveu des penchants coloniaux et racistes, la traque des mythes et des stéréotypes «blancs» intégrés au «psychisme collectif universaliste» s’orchestre sous la guidance (sic) d’un enseignant expérimenté apte à reconnaître en chacun des étudiants, le raciste ou le dominant qui sommeille, afin qu’il libère ensuite l’enfant dominé dans et par l’école.

Pour la pédagogie décoloniale, il ne s’agit plus de s’intéresser à l’école, à son institution, ni même à l’élève, puisque toute réparation psychique des blessés du colonialisme est impossible (cf. écrits de Franz Fanon sur les névrosés) et que tout programme politique compensatoire ou égalitaire («actions sociales visant une égalité entre les races» selon les propos de l’auteur) est inefficace. Les «blancs» étant les acteurs et les protecteurs du système institutionnalisé de domination qu’ils ont instauré, la stratégie ne peut que passer par le renversement du psychisme du dominant (ici, l’étudiant) afin que le changement politique prenne source dans et par l’école.

Un anti-humanisme militant

En pratique, suite à ces ateliers de préparation à ce que nous nommons la «pleine conscience coloniale et décoloniale» des étudiants, l’idée est d’introduire dans les établissements, la libération des opprimés (élèves) par la mise en œuvre de conflits dialectiques avec les dominants (enseignants expérimentés) selon une «rage» qui se rapporterait, en fait, à de l’amour (prévient l’auteur): la rage pour la pédagogue n’étant pas perçue comme nocive d’un point de vue politique, mais comme vectrice d’un empowerment (responsabilisation) constructif pour les dominés. Terminé le travail collaboratif, l’appartenance au corps, à la discipline, les échanges de pratiques en faveur de l’enseignement et des élèves. Il revient au futur fonctionnaire d’État de renverser l’institution. Mais pas de panique. Il est prévu que cette rage laisse place aux discours moraux, auxquels les étudiants seront formés, puisque le sexisme et le racisme pour «bell hooks» étant des actes intentionnels qui résultent de stratégies malveillantes issues de fautes morales (et non pas des fautes juridiques telles que notre droit français les reconnaît), la réponse ne pourra être située que sur ce registre.

En résumé, beaucoup des préjugés et présupposés de cette pédagogie dite décoloniale sont à l’œuvre dans beaucoup de modules des maquettes de Master actuellement en phase d’accréditation dans les INSPE. Notre Observatoire du décolonialisme se doit d’intervenir vigoureusement pour dénoncer ces coups de force intellectuels et institutionnels anti-républicains qui prennent les élèves et les stagiaires en otages.

charles coutel

Notes & références

  1. Conseiller Principal d’Éducation.

  2. Institut National Supérieur d’Enseignement et d’Éducation.

  3. Voir l’article d’Anastasie Amboulé Abath, Marie-Ève Campbell et Geneviève Pagé, 2018, «La pédagogie féministe: sens et mise en action pédagogique», Recherches féministes, 31, DOI: 10.7202/1050652ar, https://journals.openedition.org/traces/5852. Voir aussi l’article d’Estelle Ferrarese, 2012, «bell hooks et le politique. La lutte, la souffrance et l’amour», Cahiers du Genre, 1, p. 219-240. https://doi.org/10.3917/cdge.052.0219